DOCERE

Henry de Montherlant

« Je le reconnais, chère Mademoiselle, il ne fait pas bon m'aimer. Sitôt que je me rends compte que quelqu'un tient à moi, je suis déconcerté et ennuyé; mon second mouvement est de me mettre sur la défensive. J'ai eu un profond attachement pour trois ou quatre êtres dans ma vie; c'étaient toujours des êtres dont je n'aurais pas juré qu'ils avaient seulement la sympathie pour moi. Je crois que, s'ils m'avaient aimé, j'aurais eu tendance à me détacher d'eux.
     Être aimé plus qu'on aime est une des croix de la vie. Parce que cela vous contraint soit à feindre un sentiment de retour qu'on éprouve pas, soit à faire souffir par sa froideur et ses rebuts. De toutes façons une contrainte (et un homme comme moi ne peut pas se sentir contraint, sous peine de devenir malfaisant), et de toutes façons de la souffrance. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 41

« On ne devrait jamais dire à quelqu'un qu'on l'aime, sans lui en demander pardon. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 42

« Vous ne savez pas ce que c'est que la pitié. C'est un sentiment qui suffirait à ruiner une vie. Heureusement que je me défends. J'ai une discipline d'égoïsme très exacte. Si je n'avais pas d'égoïsme, je n'aurais pas d'œuvre; il a fallu choisir. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 71

« Il n'y a qu'une souffrance, c'est la solitude du cœur. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 111

« La vanité est la passion dominante de l'homme. Il est faux qu'on puisse faire tout ce qu'on veut aux hommes avec de l'argent. Mais on peut faire faire tout, à la plupart des hommes, en les prenant par la vanité. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 123

« Il y a, dans le mariage musulman, tel qu'il est célébré à Alger, une coutume saisissante. La coiffeuse s'avance vers les jeunes mariés et verse de l'eau de jasmin dans les deux mains réunies de la mariée; le mari se baisse et boit cette eau; la coiffeuse procède de même pour le mari, mais lorsque la mariée se prépare à boire dans les mains du mari, celui-ci ouvre les mains et le liquide s'échappe. Voilà une coutume atroce : il est posé en principe que l'homme doit être heureux, et que la femme ne doit pas l'être. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 126

« La jeune fille qui attend un peu trop longtemps un mari, et fleurit inutilement dans son cœur l'autel de l'homme inconnu, n'apparaît à ce même homme que comme un personnage comique : il croit, ou feint de croire, qu'il ne s'agit que d'un drame de la chair, alors que c'est l'âme que consume le besoin de se donner. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 128

« C'est parce qu'ils n'ont rien à se dire que les couples se disputent; cela leur fait une façon de passer le temps. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 129

« La femme est faite pour un homme, l'homme est fait pour la vie, et notamment pour toutes les femmes. La femme est faite pour être arrivée, et rivée; l'homme est fait pour entreprendre, et se détacher : elle commence à aimer, quand, lui, il a fini; on parle d'allumeuse, que ne parle-t-on plus souvent d'allumeurs! L'homme prend et rejette; la femme se donne, et on ne reprend pas, ou reprend mal, ce qu'on a une fois donné. La femme croit que l'amour peut tout, non seulement le sien, mais celui que l'homme lui porte, qu'elle s'exagère toujours; elle prétend avec éloquence que l'amour n'a pas de limites; l'homme voit les limites de l'amour, de celui que la femme a pour lui, et de celui qu'il a pour elle, dont il connait toute la pauvreté. Non seulement ils ne vont pas au même rythme, mais l'offre et la demande ne sont pas entre eux accordées. L'homme ne peut guère avoir pour la femme que du désir, qui assomme la femme; la femme ne peut guère avoir pour l'homme que de la tendresse, qui assomme l'homme. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 130

« En vérité, quel homme, à condition qu'il réfléchisse un peu, ne se dira pas, lorsqu'il s'approche d'une femme, qu'il met le doigt dans un engrenage de malheurs, ou tout au moins un engrenages de risques, et qu'il provoque le destin? »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 132

« On voit dans les églises, aux messes d'onze heures, pliant le genou et généreux à la quête, une multitude de damnés. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 213

« L'Église du Christ a duré mille et quelques années. Je crois (me trompant peut-être) qu'elle ne subsiste que dans les monastères. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 213

« La seule recette : faire des œuvres belles. Ensuite, advienne que pourra. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 976

« On demandait à Gladstone combien de discours un homme peut préparer en une semaine. Il répondit : « Si c'est un homme de haute capacité, un seul. Si c'est un moyen, deux ou trois. Si c'est un imbécile, une douzaine. » »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 976

« Dans les cahiers de jeunesse de Barrès, on trouve, tracée de sa main, une liste des membres de l'Académie, telle qu'elle était composée au moment où il rédigeait ce journal. Le nom de chaque académicien y est suivi de la date de sa naissance. Cela veut dire que le jeune Barrès voulait avoir toujours « sous la main » l'âge de chaque académicien, afin de ne s'user pas à faire des lèches à ceux qui avaient trop de chances d'être morts dans le temps qu'il se présenterait lui-même à l'Académie. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 978

« Depuis toujours, le monde ravagé pour faire triompher des conceptions aujourd'hui aussi mortes que les hommes qui moururent pour elles. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 978

« Qui me rend visite me fait honneur. Qui ne me rend pas visite me fait plaisir. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 979

« La « soif » du martyre des premiers chrétiens venait sans doute de leur désir de confesser leur foi et de gagner le paradis, mais peut-être aussi de ce sentiment éternel comme le monde : l'honneur de se sentir persécuté par un gouvernement qu'on méprise. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 979-980

« Il y a autant de plaisir à être droit qu'à être retors. Autant à être cruel, qu'à être clément. Autant à être âpre, qu'à se relâcher. Il faut donc alterner, ce qui non seulement varie le plaisir, mais décontenance l'adversaire. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 980

« On dit que la vie est courte. Elle est courte pour ceux qui sont heureux, interminable pour ceux qui ne le sont pas. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 981

« Ces jours où l'on a envie de se tuer en songeant que pendant trente ans encore on aura de la cendre de cigarette qui tombera sur son gilet. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 982

« On dit que « ne respectent rien » ceux qui ne respectent que ce qui mérite d'être respecté. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 983

« Il y a un conte de Dostoïevsky où il parle des Français qui « ont beaucoup d'objets ». Les hommes d'actions, eux, ont beaucoup d'actes, beaucoup trop d'actes. Devant le ridicule de l'action, on se prend à se dire que les hommes d'action n'ont été créés que pour les historiens tirent d'eux des romans (baptisés histoire), les dramaturges des pièces, et les sages des considérations. Il y a un côté par lequel Alexandre, César, Cortès, et aussi Auguste, Charles-Quint, Napoléon, etc., sont des imbéciles, celui par lequel ils ne perçoivent pas que presque tout ce qu'ils font est inutile et condamné d'avance : ils agissent pour agir, c'est une sorte de vice. Inutile, sauf au point de vue de la rêverie, qui est justement celui qu'ils méprisent le plus. Certains animaux, dans certains de leurs actes, font paraître une semblable imbécilité. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 990-991

« « Vous serez sur l'estrade. » Sur l'estrade, et j'avais moins de trente ans! Je crois que je lui répondis quelque chose comme : « Je ne vais pas sur les estrades », et, en effet, je n'y ai été de ma vie (sauf, évidemment, les trois ou quatre fois où j'ai fait une conférence). J'aime mieux le banc des pauvres que l'estrade. Non par humilité, mais tout ce qui sent l'importance me hérisse. L'ombre seule de la vanité me fait peur. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 992

« Problème métaphysique. — Qu'est-ce que le néant? L'avez-vous vu? Pouvez-vous le décrire?
     - Mais oui. Il est commandeur de la Légion d'honneur, et on publie ses Œuvres complètes. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 993

« Qu'y a-t-il de plus absurde que ces feux et ces larmes, quand, dans trois mois, on changera de trottoir pour échapper à qui les provoquait? L'amour ne peut être pris au sérieux que par l'artiste qui en tire une œuvre d'art. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 999

« X... vous dit : « Y... est un vendu. » Vous dites au premier rencontré : « Y... est un vendu. » X... vous dit : « Z... est un très chic type. » Vous dites au premier rencontré : « On dit que Z... est un très chic type. » »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1006

« Il faut lutter avec force contre la tentation déraisonnable de nous retourner contre nos idées les plus chères, le jour que nous les voyons vulgarisées et dégradées par le succès enfin venu. On trahit les causes vaincues par lâcheté, et les causes victorieuses par délicatesse. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1007

« On ne réfléchit pas assez au fait que, pendant dix-huit siècles, le christianisme empêchant les Européens de se suicider, il leur a fallu beaucoup plus de courage pour supporter l'adversité qu'il n'en a fallu aux Anciens. Le Moyen Âge, la Renaissance, tant d'atrocités et pas un suicide! Tout supporté jusqu'au bout, sans fuir! C'est à peser quand on juge les civilisations.
     Le jour où, en France, on commence de se suicider — après la Révolution, — on renoue avec le monde qui s'éteignait vers le IIIe siècle. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1008

« En tous pays, la loi s'hypnotise sur des délits infimes, ou qui même n'en sont pas, et déshonore un homme pour des actes que tout individu intelligent juge moralement et socialement sans importance. Mais la bassesse de l'âme, la médiocrité, la lâcheté, l'absence de patriotisme, ou plutôt l'antipatriotisme « passent à travers », et désagrègent peu à peu une nation à laquelle des millions de faux délits ne portaient pas le moindre préjudice. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1009

« Un chien qui aboie vaut mieux qu'un homme qui ment.
     Je ne pense pas, disant cela, à l'homme qui ment dans sa vie privée, ce qui est nécessaire et souvent salutaire. Mais à celui qui ment au peuple : l'homme politique, l'écrivain à « message », le général, etc. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1011

« La vie : un océan dont les moralistes, les philosophes, enfin les doctrinaires de toute sorte prétendent faire le petit quadrilatère d'eau calme et classifiée qu'est un marais salant ou un parc à huîtres. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1011

« On parle toujours de la consolation que c'est pour certains, de croire au paradis. On oublie la consolation que c'est pour d'autres, de ne pas croire à l'enfer. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1018

« Si loin que nous disons, nous ne disons que la moitié.
     Je développe.
     Tous les hommes publics, à peu près, sont des hommes-mensonge. De là le désir infini qu'on a, de ne pas les fréquenter.
     On peut n'être pas un homme-mensonge, mais être un homme qui ne veut dire que la moitié de la vérité, ce qui est déjà beaucoup. Pour que le monde vous laisse jouir en paix de ce qu'il est capable de donner.
     Il est non seulement des plus dangereux, pour soi, de dire aux hommes la vérité sur ce qu'ils sont, sur ce que sont les problèmes et les causes pour lesquels ils s'agitent, sur ce que valent leurs actions, sur ce qu'est la destinée, sur ce qu'est « l'ordre » de ce monde (on voit quelquefois un mouvement de haine envelopper un écrivain, et c'est seulement parce qu'il s'est avancé jusqu'à dire la moitié de la vérité), mais cela est aussi des plus inutile pour eux. Laissons-leur le mensonge où ils veulent vivre. Contentons-nous, par respect pour nous-même, de n'y rien ajouter.
»

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1018

« Peut — être pourrait — on diviser le monde en deux familles : ceux qui acceptent aisément de s'ennuyer, et ceux qui ne l'acceptent pas, ou ne l'acceptent que très peu. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1019

« Il faudrait parler plus rarement d'imbéciles, et plus souvent d'imbécilités, puisque la passion l'ignorance et la légèreté poussent beaucoup de gens qui ne sont pas du tout des imbéciles à dire et à faire des imbécilités. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1019

« L'expérience de Lubbock. Une bouteille, le goulot ouvert, où sont enfermées des abeilles. Le cul de la bouteille est tourné vers la lumière, le goulot vers l'obscurité. Toutes les abeilles se poussent vers le cul y meurent d'inanition, quand le goulot est ouvert de l'autre côté.
     C'est l'aveuglement et l'obstination stupide des femmes.
     Et les abeilles passent pour intelligentes, comme les femmes passent pour fines.
     C'est aussi la mode. Ne voit que ce qui est à la mode, et y périr, quand la vérité est ailleurs, — à côté. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1021

« L'homme qui ne veut pas déplaire au public. — à sa « clientèle » — est, quoi qu'il fasse, un marchant. Même et surtout quand il est un littérateur. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1021

« Comment nettoyer la conscience? En la frottant avec du réel. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1026

« La Bêtise ne consiste pas à n'avoir pas d'idées; cela, c'est la Bêtise douce et bien heureuse des animaux, des coquillages et des dieux. La Bêtise humaine consiste à avoir beauoup d'idées, mais des idées bêtes. Les idées bêtes — avec bannières, hymnes, haut-parleurs, voire tanks et lance-flammes pour la persuassion — sont la forme raffinée, et la seule véritablement effrayante, de la Bêtise. Car elles sont par essence dynamiques; par essence elles suscitent l'enthousiasme; elles sont faites de toute éternité pour être la Bêtise dorogée. Qui décrira dans un grand mythe l'imbécile ou le charlatan moderne ouvrant la nouvelle boîte de Pandre, d'où s'échappe et se répand sur le monde la plaie volante des idées bêtes, dont les hommes meurent en les adorant? »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1027

« Toute ma vie, j'ai eu les passions à la surface, mais, dans le même temps, le fond calme comme le fond de la mer pendant la tempête. Il faut connaître les deux, et ensemble : ces attaches et ce détachement. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1033

« Ne cherchez pas à m'intéresser à ce qui ne m'intéresse pas naturellement. Il y a assez de choses en ce monde qui m'intéressent naturellement, et donc je ne sais et ne saurai jamais rien, sans que je m'intéresse encore à la préhistoire des Incas. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1034

« Lequel est le plus à craindre, l'imbécile ou l'intelligent? »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1034

« Même en politique, on accepterait des passionés vrais. Mimes de la passion, singes de la passion, vous nous lassiez de glace. Et si la singerie est payée! »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1035

« La plupart des gens acceptent très volontiers que le premier venu ait des droits sur eux. Un inconnu les force à venir au téléphone, les force à répondre à sa lettre, les force à se mettre en colère parce qu'il les insulte, ou à démentir parce qu'il les a calomniés. J'imagine le volé qui ne porterait pas plainte : eh quoi! suffirait-il donc qu'on me volât pour prendre pied dans ma vie? »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1036

« Rien ne compromet moins que l'ironie. Un paradoxe bien insolent est le chef-d'œuvre de la prudence. On avoue, et on avoue impunément. Ce n'est plus le roi nu du conte, que tous voyaient nu, sans que personne en voulût convenir. C'est le roi nu que personne ne voit nu. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1036

« Moins un individu est évolué, plus il juge une œuvre littéraire du point de vue moral. Le jugement de la masse sur une œuvre littéraire sera donc toujours, d'abord, un jugement de moralité. A part quelques exceptions, tout écrivain qui arrive à obtenir une adhésion de masse, n'y arrive que du jour où il a donné à ses ouvrages une teinte morale (peu importe si dans le fond ils sont immoraux). Le truc est bien connu des auteurs. Mais le public, même cultivé, lorsqu'il apprécie le succès littéraire, en oublie souvent cette condition. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1036

« Un tel disait des choses sages, et s'en vantait. Un sage lui dit : « Si tu étais vraiment sage, ce que tu viens de penser et de dire, tu l'aurais pensé et ne l'aurais pas dit. » »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1037

« Tout grand homme n'agit et n'écrit que pour développer deux ou trois idées. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1039

« Reconnaître ses torts, et s'en excuser, même avec naturel, peut être le contraire de l'humilité, peut être la conscience enflée de sa puissance, et qu'il n'y a pas de gêne à en étaler les faiblesses. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1039

« Certains (de tout âge, de tout sexe) ont l'apparence d'être des solitaires, passent pour tels, d'ailleurs se donnent pour tels; cela des années durant, une longue période de leur vie. Mais qu'ils tombent d'aventure dans une communauté avec laquelle ils s'accordent, les voici des plus sociables, et plus heureux encore qu'auparavant. Ils étaient des sociables qui s'ignoraient, faute de l'occasion. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1039

« Ne rien promettre, et donner en disant que l'on refuse. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1041

« Ravissante et profonde histoire d'Hideyoshi (homme d'État japonais du XVIe siècle), d'après A new life of Toyomi Hideyoshi, par Walter Dening. — Hideyoshi, âgé de treize ans, entre dans une bande de brigants. Le chef, Koroku, qui a a fancy (un sentiment) pour lui, lui promet : « Je te donnerai tout ce que tu voudras. » — « Donne moi ton sabre. » Koroku refuse : le sabre est un souvenir de ses ancêtres. Hideyoshi insiste. Koroku lui dit : « Je ne peux te donner ce sabre. Mais je vais te dire ce que tu peux faire : vole-le, si tu en es capable. En ce cas, je n'aurais commis aucun péché contre mes ancêtres. »
     Koroku veille toute la nuit, pensant d'Hideyoshi viendra voler le sabre durant son sommeil. Mais non. Le lendemain, Hideyoshi lui dit : « J'ai réfléchi. Je suis indigne de ce sabre. Et puis, je ne veux pas te prendre un souvenir de famille. »
     Koroku s'endort donc tranquille, et Hideyoshi lui vole son sabre. Le matin, aux remontrances de Koroku, l'enfant répond : « Vous n'aviez qu'à percevoir que je mentais, et à ne pas dormir. Je garderai le sabre. »
     « Ce garçon, dit alors Koroku, est merveilleusement intelligent. Il sera un jour un grand homme. » Et il s'attacha à lui plus que jamais.
     Deux moralités :
     1. Le jeu, le fair play, la gracieuse légèreté. « Vole mon sabre si tu peux, et il sera à toi. »
     2. Quiconque prétend avoir, ou, par l'emploi qu'il occupe, devrait avoir la pénétration, le flair psychologique, l'art de la conduite humaine, n'as pas le droit de se plaindre d'être dupé. Dupé, c'est lui qui est dans son tort, plus que son dupeur. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1044-1045

« Nul n'a appris de moi le tir, qui n'ait fini par faire de moi sa cible. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1045

« Cette boîte vraiment infernale, ce coffret de Pandore qu'est un appareil de radio, quand de tous les points de l'univers des voix se mettent à mentir ensemble. Oui, vraiment, c'est l'enfer. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1047

« On ne devrait jamais écrire d'un auteur sans avoir tout lu de lui, et tout se rappeler. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1061

« Je lis peu les poètes contemporains, et la portée de ce que je vais dire en sera réduire. Après lecture de Les Chansons et les Heures, je dis que Marie Noël est pour moi le plus grand poète français vivant; mettons, si l'on veut, le seul qui me touche. Cela est inégal, et une voix amie eût dû conseiller la suppression de plus d'une strophe et de plus d'un poème. Mais ce qui est bon l'est admirablement. Cela jaillit du cœur, et cependant cela est ouvré par l'art de plus attentif; plein d'art, et cependant cela n'est jamais de la littérature. Le tour est celui de la plus vieille France; le christianisme n'y est pas agaçant. Des poèmes comme L'Épouvante, L'Adante de La Fantaisie à plusieurs voix, la Prière du poète, A tierce sont parmi les plus beaux poèmes qui aient jamais été écrits en langue française. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1065

« Il faut dans toute société un certain nombre d'êtres désarmés, afin que les gens puissent se délivrer impunément, sur eux, de leur méchanceté, qu'ils sont tenus de retenir ailleurs, par crainte de la riposte. Ce sont les têtes de Turc, les boucs émissaires, etc. On peut imaginer quelqu'un qui se sentirait la vocation — héroïque — d'être un de ces sacrifiés.
     Ces personnes qui, par un génie secret, concentrent sur elles-mêmes une telle quantité de tristesse, qu'elles en font figure de sentinelles qui défendent les autres contre les entreprises du malheur. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1065

« Garçons et filles, grand tort de les élever pour la société, non pour eux-mêmes. On ne cherche pas à développer des individualités fortes; on préfère des êtres dociles et qui ont des besoins par lesquels on les tient. Cela est sensible surtout dans l'éducation des filles. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1068

« Dans la pesée d'une vie intervient une donnée essentielle, d'ordinaire assez inconnue du monde : c'est le prix qu'on a payé ce qu'on a obtenu. Non pas en argent mais en actes ennuyeux ou indignes. Tekke vie paraît admirable, où out à été payé si cher, en obéissances et en pensums, qu'une telle vie, si brillante soit-elle, ne peut être tenue que pour un échec. Et telle autre appraît un peu ratée, qui a été magnifiquement réussie, parce qu'on a payé très peu. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1068

« Qui s'est fié à toi, ne le déçois pas; ce serait te décevoir toi-même. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1071

« Assez énergétique pour être méchant, assez philosophe pour ne pas l'être. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1072

« Si la paresse est le refus de faire non seulement ce qui vous ennuie, mais encore cette multitude d'actes — tissu de la vie — qui, sans être à proprement parler ennuyeux, sont tout inutiles, alors la paresse doit être tenue pour une des manifestations les plus authentiques de l'intelligence. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1072

« Il y a une façon de ne pas se défendre qui, paraissant lâcheté, est le comble de la force : la force massive de l'indifférence. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1073

« La politique : je préfère en être victime que complice. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1073

« Depuis dix ans je répète : plutôt être à l'écart que les commander. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1075

« Faire passer sans cesse toute sa vie dans un tamis. Secouer sans cesse, et ne garder que ce qui reste : ce qui est de votre part essentielle. Sans cesse, comme par une seconde nature. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1078

« Il ne faut jamais demander aux êtres de ne pas mentir. Et il ne faut jamais leur en vouloir de mentir. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1078

« On flétrit du nom d'inadaptés les honnêtes. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXIV, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1092

« Être à la page. — « Je suis par la naissance du parti du passé. » Cela m'a valu des insultes, « Nous nous paserons donc de vous. » Eh! Madame, quatre ans et demi hors de France, sans publier, vivant incognito, n'est-ce pas suffisant pour montrer que ce qu'on désire, c'est que les autres se passent de vous autant que vous vous passez d'eux.
     Il est évident que la vulgarité est aujourd'hui d'être « moderne », à la page, de se tenir au courant, de flairer l'avenir. Mais la vulgarité peut se trouver être la vérité. Or, je cherche au nom de quoi on condamnerait ceux qui sont hors de leur époque. Qu'y a-t-il dans l'avenir de supérieur au passé? »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXIV, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1095-1096

« Rien que nous n'affirmions, qui ne doive être un peu contredit. Et d'abord par nous-mêmes. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXV, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1119

« Le rôle constant de la presse parisienne est de ne pas donner d'importance à ce qui est important, et d'en donner à ce qui ne l'est pas pas. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXV, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1121

« Une règle d'or : faire peu de choses.
     Ne pas écrire trop. Ne pas lire trop. Ne pas trop entreprendre. Ne pas connaître trop de gens. Ne pas connaître trop de questions : en ignorer un certain nombre systématiquement.
     Refuser sans cesse. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXV, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1121

« Le problème de la bêtise est peut-être le plus insondable de tous. On a rêvé des édens où les hommes seraient tous heureux, des édens où ils seraient tous bons. On n'a jamais rêvé d'edens où ils seraient tous intelligents : cela n'est pas même rêvable. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXV, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1122

« Grande chose que réussir dans ce qu'on méprise. Il y faut vaincre et les autres et soi. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1127

« Vis seul, tu donneras moins de prise qu'entouré d'une garde du corps; moins de prise qu'entouré d'amis. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1129

« Qui aime, attend. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1140

« Comme tous les gens un peu faibles d'esprit, il avait besoin d'avoir des idées très nettes. Il était donc méticuleux dans les affaires matérielles, et doctrinaire dans les affaires morales. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVIII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1146

« Quel curieux patron j'aurais fait! Si un de mes employés était venu me demander un jour de congé parce que sa femme accouchait ou parce que son enfant était malade, je le lui aurais certes accordé de bon cœur. Mais s'il m'avait dit : « Accordez-moi un jour de congé parce que j'ai eu des embêtements, que je veux me saouler la gueule, et me reposer le lendemain », ou encore : « ...parce que c'est le premier jour de soleil et que j'ai tant envie d'aller au bois de Vincennes avec ma petite amie », je crois que je le lui aurais accordé de meilleur cœur encore. — Mon respect du plaisir des autres, respectant le mien. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVIII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1147

« Le langage intelligent crée des malentendus parce que les gens ne sont pas intelligents. La langue particulière, notamment, qu'il faut parler aux femmes, aux enfants, au peuple : une langue qui ne doit pas être logique, ne doit pas être précise, et souvent ne doit pas même être correcte. Et qu'il faille sans cesse veiller à cela. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVIII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1151

« Rousseau dit : « Enlevez les hommes, et tout est bien. »
     Je réponds : « Enlevez les hommes, et tout n'est rien. » »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVIII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1154

« Le caractère de l'intelligence est l'incertitude. Le tâtonnement est son outil. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1161

« La raison de ma tristesse est moins le mal lui-même, que cette indulgence et cette complaisance pour la malhonnêteté que je rencontre chez nombre d'êtres, hommes et femmes, qui dans leur vie sont nets. Ils rient ou sourient des pires crapules, leur serrent la main, les invitent chez eux et sont invités par eux avec plaisir. Ensuite, on les voit communier, être stricts avec leurs enfants, etc. et cela de bonne foi. Ces gens sont toujours frottés de « monde » plus ou moins. A côté de cela, il y a des êtres, sans éducation et sans monde, qui montrent devant la malhonnêteté un écœurement qui n'est pas feint. Je ne sais si leur vie est nette, et il est possible qu'elle ne le soit pas. Je sais seulement que certaines choses les écœurent, qui n'écœurent pas les autres, et cette différence à mes yeux est énorme. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1165

« Le sens du baiser est : vous êtes pour moi une nourriture. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1167

« Chaque époque se persuade qu'elle est la plus malheureuse, et même les « grands siècles ». Voir dans Lucrèce le Senectus, dans Sénèque le triste état d'Athènes au Ve siècle, dans Ferrero la tristesse et l'inquiétude des contemporains d'Auguste (notées aussi par Flaubert). Les intellectuels romains du temps de Tibère attendaient la fin imminente du monde romain, lequel dura encore trois cents ans et plus. Les gens de l'an mille se croyaient à la fin du monde, Philippe II à la veille de la grande désolation de la chrétienté. On ferait plusieurs tomes avec les lamentations des chroniqueurs italiens du siècle de Léon X. Et Bossuet écrit du siècle même de Louis XIV : « Nous vivons en un temps où toutes choses sont confondues. » C'est que rien n'égale ce qui nous touche personnellement. Et puis, il y a « l'honneur de souffrir ».
     Prenons garde pourtant de ne pas prendre à la légère le déclin actuel de la France, sous prétexte que toute heure se croit déclin. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXIX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1172

« On veut me forcer à haïr une partie de mes compatriotes, quand mon cœur est avec eux tous. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1179

« Il y a un conte chinois, Les Épouses infidèles, où un roi fait venir, d'une autre province, un jeune homme dont il a entendu louer la grande beauté. Mais, au moment de partir, le june homme prend sa femme en flagrant délit, sa figure s'altère, il devient laid.
     Première moralité : Nous sommes laids à cause de nos soucis.
     Cependant le jeune homme, installé chez le roi, voit la femme du roi qui fait l'amour avec un palefrenier dans l'écurie. ALors, il se dit : « Si la femme du roi fait cela, à plus forte raison la mienne. Ses soucis à l'instant se disspent, et il redevient aussi beau qu'auparavant. »
     Seconde moralité : Le malheur des autres nous console.
     Troisième moralité : Ne nous chagrinons jamais pour ce qui vient d'une femme.
     Là-dessus le roi et le jeune homme, « songeant qu'il n'est pas possible, en compagnie des femmes, de s'adonner aux occupeations saintes », se retirent dans la montagne et obtiennent tous deux la sagesse de Bouddha. (Contes et Légendes du bouddhisme chinois, Bossard, 1920.) »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1179-1180-

« « Vos idées sont aussi inactuelles que votre style. »
     Tant mieux, c'est ce qu'il faut. Aussi peu Français-1935 que possible; ce qui est certainement la meilleure façon d'être Français tout court. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1188

« Nous ne savons rien de la plupart des questions, ou nous en savons si peu. Cependant il faut parler, opiner, briller. Si encore vous êtes un homme célèbre, vous pouvez vous taire dans une réunion; votre crédit n'en sera pas diminué. Mais si vous êtes un obsur et si on vous demande, par exemple, ce que devrait être notre politique à l'égard de l'Allemagne, répondez donc que la question n'est pas de votre ressort et que vous n'en savez rien : vous verrez de quel œil on vous regardera. Vous passerez ou pour un imbécile, ou pour un homme désagréable, ou pour un homme qui se désintéresse du destin de son pays. Vous sortirez vous étant fait des ennemis. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXX, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1192

« Je finis ma lettre, sans finir de vous aimer. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1202

« Quand il y a très longtemps qu'on a menti et qu'on doit s'y remettre à l'improviste, on est comme un homme qui est resté vingt ans sans monter à vélo : gare la bûche! »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1204

« On dit : « Il n'est pas sérieux », de quelqu'un qui ne prend pas au sérieux ce qui ne mérite pas de l'être. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXI, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1204

« Croire que Costals est Montherlant témoigne de la même faiblesse d'esprit que confondre le désir de bonnes relations avec l'Italie avec une adhésion au fascisme, ou l'antibolchévisme avec le vœu que soit rompu le pacte franco-russe. Notre critique littéraire, comme notre politique, se laisse dépasser par l'étranger, parce qu'elles sont devenues primaires, et ne font plus des distinctions vitales, ce qui finira par causer la ruine de notre culture. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1218

« Chefs d'État, toujours dupeurs, toujours imposteurs, toujours sanglants. Et ils se font aimer! »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1221

« Se tenir à l'écart de tout le plus possible. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1221

« On nous conseille, non sans raison, de nous lier seulement avec ceux qui ont le même état de fortune que nous; sinon, richards ou misérables, leur commerce nous mettrait dans une semblable gêne. Mais je dirai aussi : nous ne devons fréquenter que les gens qui ont le même degré d'intelligence que nous. Plus intelligents, ou moins intelligents, ils nous accablent. (Plus intelligents, on s'en tire par un silence gros de prétentions; moins intelligents, par la plaisanterie, ou, quand cela est possible, en couchant avec eux.) »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1229

« Tout ce que nous donnons nous manquera un jour. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1234

« Malraux, comme nous tous à la guerre, a dû avoir des mes qui n'étaient pas drôles. Mais il a fait le silence sur les cons, alors que c'est un des drames de la guerre, qu'on la fasse toujours côte à côte avec des imbéciles (drame qui me l'empoisonnerait, aujourd'hui, et jusqu'à détruire, je le crains, tout sentiment autre que l'impatience de cette imbécilité), ou du moins avec des compagnons qui ne se battent pas pour les mêmes raisons que vous (abcès qu'il faut préserver, ou bien ouvrir?) »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIV, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1245

« Ces idiots politiques, mais infiniment alertes sur leurs propres intérêts, serins ici et renard là, me font penser à ces domestiques qui nous accablent par leur stupidité dans notre service, mais, en combines et friponneries dans ce qui les concerne, sont maîtres à s'agenouiller devant. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIV, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1247

« Toujours la tauromachie. — Pendant cette longue période où elle hésite, réfléchit, recule, calcule, malgré tout son effort elle est condamnée à venir où je l'attends, comme le taureau, quels que soient sa vaillance, les cheveaux et même les hommes qu'il ait étripés est destiné fatalement à mourir. Et il y a dans cette défense vaine (et si sincère) quelque chose ensemble de touchant, de ridicule, de pitoyable, et de grandiose. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIV, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1248

« Un vieux journal espagnol qui me tombe sous la main. Quelle pitié que cette vue petite que donne la fureur politique. Un parti politique, cette pauvre chose qu'est un simple parti politique, verse des larmes de crocodile sur la « honte », le « déshonneur », l' « humiliation » du général (du parti adverse) qu'il a fait dégrader (?) par ses tribunaux. Comme s'il y avait la moindre honte et le moindre déshonneur à être outragé par une « justice » qui n'a rien à voir avec la justice, qui n'est qu'une façade hypocrite de la passion et de la haine! Il n'y a pas plus de honte, en temps de guerre civile, à être condamné par la « justice » du parti adverse, qu'il n'y a de honte, sur le champ de bataille, à être blessé par l'ennemi. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIV, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1248

« Je connais très bien tous les défauts des hommes, parce que je les étudie en moi. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIV, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1249

« Croyez-vous sincèrement que sous un régime socialiste ou communiste il y aura des médecins et des infirmières, dans les hôpitaux français, qui traiteront les humbles avec conscience et respect, des administrations et une armée françaises qui ne les brimeront plus, des orphelinats pour leurs enfants qui seront autre chose que des prisons, etc. : en un mot, qu'ils seront traités, sans argent, de la même façon que s'ils en avaient? Il y a chez nous quelque chose à changer de plus profond qu'une structure sociale et des lois, c'est la qualité de l'homme. Or, rien n'indique que ce changement se prépare, même à la plus lointaine échéance. Au contraire, c'est une aggravation de l'inhumanité qui se prépare. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIV, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1250

« Il faut se garder des raisons de n'aimer pas les gens, pour le jour qu'on les perdra. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXV, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1263

« Pouvoir se retrouver devant la page qu'on a écrite hier sans rougir... »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1278

« Le monde ne veut pas renoncer à avoir des opinions sur tout, si dérisoire que soit le fondement de ces opinions. Il veut continuer de tuer et d'être tué pour des illusions. Il nous y tue nous-mêmes, nous qui savons. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p.1283

« Il faut choisir ou sa paix, ou dire de toute la vérité, et j'ai choisi : je n'en dirai qu'une partie (qui suffira à me valoir beaucoup d'ennuis). Sur les plans métaphysique, politique, social, sur le plan des idées et sur celui des mœurs, les vérités que j'aurais à dire, et qui sont évidentes pour quiconque est doué de raison — mais voilà, ce « quiconque » est la rareté même, — sont si à rebours de l'opinion générale, et je dirais presque universelle, si explosives en un mot, que ma vie privée serait atteinte par les éclats retombants. Je ne sacrifierai pas ma vie privée. Je tiens à elle plus qu'à mon œuvre.
     Est-ce là être lâche? Non, car je suis trop convainçu que l'expression de la vérité non seulement ne serait pas accueillie par la société, mais ne lui causerait que de l'indignation. Ne nous mêlons pas d'éclairer le monde, qui ne veut pas l'être. « Si ta bouche contient une vérité, garde ta bouche close » (proverbe persan). Il faut être raisonnable pour soi seul. Je crains même que nous ne risquions beaucoup en voulant à toute force éclairer ceux que nous aimons.
     L'amertume est de songer aux quelques centaines d'esprits libres, dans une nation, qui penseront de moi : « Quoi, cela seulement ? » Mais il le faut avaler. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1285

« On n'a pas de haine pour celui qu'on méprise, quand il a une petite situation. Mais oui, s'il en a une grande. Alors le mépris s'adresse à ce qu'il est, et la haine à ce qu'il a usurpé. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1293

« La journée où nous avons découvert que tel auteur, mal connu de tous, est bel et bien un génie comme on le prétend, cette journée est une grande journée. Mais la journée où nous avons découvert que tel auteur, universellement tenu pour un génie, n'en est pas un, cette journée-là est une grande journée elle aussi. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLIII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1311

« S'en tenir à son sens propre, sans se laisser influencer; tantôt avec la foule, tantôt contre elle, ne branlant si peu que ce soit sur ce qu'on a mûrement jugé : je crois que c'est la chose la plus rare en ce monde, et la plus admirable. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLIII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1311

« «Vous dites du mal de la noblesse..., des femmes..., de tel auteur..., que vous ont-ils donc fait? » Cette basse tournoure d'esprit. Il leur est impossible d'imaginer qu'il existe des jugements objectifs.
     Du même ordre : « Comment pouvez-vous soutenir telle cause, vous qui n'avez pas besoin d'argent? »
     Et il n'y a rien à répondre à ces gens, car les raisons qu'on leur donnerait seraient de la même qualité qui précisement leur échappe dans l'objet de leur méprise. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLIII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1317

« Je n'admire pas très fort ceux qui sont si âpres à vouloir gagner du temps, car je sais trop bien à quelles bêtises ils emploient ce temps qu'ils ont gagné. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLIII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1317

« Seule une illusion nous fait croire que tel, tel, tel et tel être ne sont pas remplaçables. Quarante-neuf êtres sur cinquante sont remplaçables — et volontiers j'ajouterais : remplaçables en mieux — lorsqu'on se donne le mal de leur chercher un remplaçant. Cette vérité, si nous en sommes pénétrés, modifiera sensiblement notre conduite générale. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLIII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1323

« Rares sont les mots qui valent mieux que le silence. Comparés à lui, les mots les plus doux, les plus douces musiques sont discordants comme cris des sourds-muets. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLIII, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1323

« Nous sommes entourés de gens imbéciles dans leurs jugements sur tout, cornichons en tout, incapables en tout, mais qui mènent fort bien leurs affaires, font fortune, se tirent des plus mauvais pas : imbéciles universellement, hormis sur leurs intérêts. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1334

« Dans un poème du Suisse Carl Spittler, un dieu et une déesse jouent aux cartes sur la terre, pendant que leurs âmes, sur l'Olympe, s'entretiennent de sujets sublimes. Je joue aux cartes sur la terre, pendant que ma vie véritable se passe dans un ailleurs où je me désintéresse profondément de ce jeu, et le renie à l'occassion. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1336

« Les gens vous livrent par méchanceté, par colère, par légèreté ou par lâcheté. Quand ils ne sont pas méchants, ni légers, ni coléreux, ils sont lâches, et parlent sous la menace. Quans ils ne sont ni méchants, ni lâche, ni légers, ils ont des colères où tout sort. Et ainsi de suite : ici ou là, toujours une fissure en eux, par quoi votre secret s'échappe. On ne peut se confier à personne. Et tel se confie sans cesse, qui le sait, si grand est notre besoin de nous raconter.
     Et cependant... Comme les poutres du bateau nous maintiennent à la surface de la mer, le secret que gardent sur nous des êtres nous maintient à la surface d'un autre abîme. Nous vivons à la merci de silences. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1336-1337

« S'il y a les lécheurs, il y a les antilécheurs. Ce qu'ils adorent vient-il au pouvoir, les voici qui le boudent, pour se sentir libres. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1337

« Les hommes disent qu'ils veulent la vérité, et ils ne veulent que des explications. Ils disent qu'ils cherchent un sens à la vie, et ils ne cherchent qu'un but, c'est-à-dire une façon de tuer le temps. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1339

« Je me sens plus à l'aise lorsqu'on m'insulte que lorsqu'on me loue. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1340

« Avec maint homme intelligent, cultivé et sensible (des milieux littéraires) on passerait volontiers, en tête à tête, un dîner et une soirée agréables. Mais les convenances européennes (mari et femme collés ensemble continuellement, comme mouche sur de la m...) exigent qu'il vous impose sa stupide compagne, qui introduit entre chaque propos une énormité, et empêcherait à elle seule toute conversation digne de ce nom, si votre hôte n'avait voulu en outre que les frais qu'il a fait pour vous traiter servissent à d'autres « politesses », et n'avait invité d'autres personnes, dont la vulgarité et la médiocrité achèvent de changer cette soirée, qui à deux eût été charmante, en un supplice auquel on est tenu de se prêter jusqu'au bout, sous peine de discourtoisie, et où on est l'obligé, encore, devant payer ce supplice de quelque édition de luxe, ou des inévitables fleurs, devenues elles-mêmes, à faire ce métier, aussi vulgaires que les gens qui vous ont empoisonné et fait perdre ces quatre heures d'une vie si brève. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1341

« Le mot « fier », louange chez les peuples nobles (Espagnols, anciens Romains, anciens Arabes), est la pire insulte chez les peuples dégénérés. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1343

« On s'épargnerait bien de tristes étonnements, si l'on se mettait dans la tête une fois pour toutes qu'autrui n'est pas soi, même quand il vous aime. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1350

« Il est nécessaire que quelqu'un redise avec force, après Tolstoï, que les « génies » ont écrit, à côtés de beaux ouvrages, des ouvrages manqués, insipides, pleins de sottises, illisibles, et qu'il ajoute même que la majorité des « chefs-d'œuvres de l'esprit humain » sont des œuvres surfaites. C'est là une vérité si importante qu'il ne faut pas qu'un écrivain meure sans l'avoir dite. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1355

« Le manque de sens critique et le manque de sens propre, le peu de goût pour la vérité, la lâcheté (peu de ne pas dire comme tout le monde), le snobisme, la déformation professorale : tout cela compose ces idolâtries intolérantes.
     Les admirations de commande ont pour pendant les décris de commande. Alors qu'une seule chose importe, qui en même temps se trouve être une chose héroïque : voir ce qui est. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1356

« On écrit « Rembrandt me féconde. » (Londres, 1938.). Puis, cinq ans plus tard, on voit une autre exposition de Rembrandt, et on reste de glace. Faut-il conserver, laisser imprimer ou réimprimer sa première note? Elle est vraie, mais elle est relative. Le moins qu'on puisse faire est de la dater. Mais, même ainsi, elle perd beaucoup de son importance; en vérité, cesse quasiment d'être importante.
     Cette remarque s'applique à beaucoup de choses qu'on écrit : on n'y croit plus au moment où on les donne à l'impression; on y croit moins encore quand on les laisse réimprimer après dix ans. Cependant on les laisse imprimer ou réimprimer, comme si de rien n'était. Elles sont signées de vous, et elles ne sont pas de vous.
     Je m'étonne qu'on ne dénonce pas plus souvent, et avec force, cette grande fraude de la chose écrite. » »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1358