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Henry de Montherlant 1895 - 1972

Les jeunes filles
« Je le reconnais, chère Mademoiselle, il ne fait pas bon m'aimer. Sitôt que je me rends compte que quelqu'un tient à moi, je suis déconcerté et ennuyé; mon second mouvement est de me mettre sur la défensive. J'ai eu un profond attachement pour trois ou quatre êtres dans ma vie; c'étaient toujours des êtres dont je n'aurais pas juré qu'ils avaient seulement la sympathie pour moi. Je crois que, s'ils m'avaient aimé, j'aurais eu tendance à me détacher d'eux. Être aimé plus qu'on aime est une des croix de la vie. Parce que cela vous contraint soit à feindre un sentiment de retour qu'on éprouve pas, soit à faire souffir par sa froideur et ses rebuts. De toutes façons une contrainte (et un homme comme moi ne peut pas se sentir contraint, sous peine de devenir malfaisant), et de toutes façons de la souffrance. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 41

« On ne devrait jamais dire à quelqu'un qu'on l'aime, sans lui en demander pardon. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 42

« Vous ne savez pas ce que c'est que la pitié. C'est un sentiment qui suffirait à ruiner une vie. Heureusement que je me défends. J'ai une discipline d'égoïsme très exacte. Si je n'avais pas d'égoïsme, je n'aurais pas d'œuvre; il a fallu choisir. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 71

« Il n'y a qu'une souffrance, c'est la solitude du cœur. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 111

« La vanité est la passion dominante de l'homme. Il est faux qu'on puisse faire tout ce qu'on veut aux hommes avec de l'argent. Mais on peut faire faire tout, à la plupart des hommes, en les prenant par la vanité. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 123

« Il y a, dans le mariage musulman, tel qu'il est célébré à Alger, une coutume saisissante. La coiffeuse s'avance vers les jeunes mariés et verse de l'eau de jasmin dans les deux mains réunies de la mariée; le mari se baisse et boit cette eau; la coiffeuse procède de même pour le mari, mais lorsque la mariée se prépare à boire dans les mains du mari, celui-ci ouvre les mains et le liquide s'échappe. Voilà une coutume atroce : il est posé en principe que l'homme doit être heureux, et que la femme ne doit pas l'être. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 126

« La jeune fille qui attend un peu trop longtemps un mari, et fleurit inutilement dans son cœur l'autel de l'homme inconnu, n'apparaît à ce même homme que comme un personnage comique : il croit, ou feint de croire, qu'il ne s'agit que d'un drame de la chair, alors que c'est l'âme que consume le besoin de se donner. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 128

« C'est parce qu'ils n'ont rien à se dire que les couples se disputent; cela leur fait une façon de passer le temps. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 129

« La femme est faite pour un homme, l'homme est fait pour la vie, et notamment pour toutes les femmes. La femme est faite pour être arrivée, et rivée; l'homme est fait pour entreprendre, et se détacher : elle commence à aimer, quand, lui, il a fini; on parle d'allumeuse, que ne parle-t-on plus souvent d'allumeurs! L'homme prend et rejette; la femme se donne, et on ne reprend pas, ou reprend mal, ce qu'on a une fois donné. La femme croit que l'amour peut tout, non seulement le sien, mais celui que l'homme lui porte, qu'elle s'exagère toujours; elle prétend avec éloquence que l'amour n'a pas de limites; l'homme voit les limites de l'amour, de celui que la femme a pour lui, et de celui qu'il a pour elle, dont il connait toute la pauvreté. Non seulement ils ne vont pas au même rythme, mais l'offre et la demande ne sont pas entre eux accordées. L'homme ne peut guère avoir pour la femme que du désir, qui assomme la femme; la femme ne peut guère avoir pour l'homme que de la tendresse, qui assomme l'homme. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 130

« En vérité, quel homme, à condition qu'il réfléchisse un peu, ne se dira pas, lorsqu'il s'approche d'une femme, qu'il met le doigt dans un engrenage de malheurs, ou tout au moins un engrenages de risques, et qu'il provoque le destin? »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 132

« On voit dans les églises, aux messes d'onze heures, pliant le genou et généreux à la quête, une multitude de damnés. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 213

« L'Église du Christ a duré mille et quelques années. Je crois (me trompant peut-être) qu'elle ne subsiste que dans les monastères. »

— Henry de Montherlant, Les jeunes filles, éd. Folio, p. 213


Pitié pour les femmes
« Quelle que soit leur expérience du contraire, les hommes persistent à croire qu'un caractère marche tout d'une pièce. Or, il n'y a unité de caractère que chez les êtres qui s'en fabriquent une par artifice; tout ce qui reste naturel est inconséquent. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1088

« Une femme sans enfantillage est un monstre affreux. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1090

« les femmes ont tendance à se croire moins aimées, quand on ne les aime pas toujours davantage, et que les hommes, espèce pauvre en amour, s'ils ne veulent pas les décevoir doivent sans cesse se surveiller. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1096

« On aime une femme d'amitié parce que, mais on l'aime d'amour bien que. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1098

« Une déception, un refus rendent ce qui était désirable mille fois plus désirable encore. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1105

« Un homme qui saurait qu'il n'est pas de souffrance d'amour qu'un vraiment bon repas ne dissipe, au moins pour quelques heures, un homme qui saurait que le courage physique et moral, que l'inspiration poétique, que le dévouement, que le sacrifice peuvent dépendre d'un bon repas, — que le sublime de l'âme peut être dû à la chair pourrie d'animaux morts, un homme qui saurait cela, il ne faudrait plus essayer de la lui faire. Mais l'homme qui est sur le point de savoir cela se dérobe pour ne pas le savoir. Et, s'il le sait, il fait comme s'il ne savait pas. Car il faut maintenir les Nuées. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1110

« « Je suis un phénomène » : « Vous êtes le contraire d'un phénomène. Vous êtes une jeune fille exactement pareille aux autres »; il l'avait rabrouée encore quand elle disait qu'elle « n'était pas comprise » : « C'est ce que disent toutes les femmes en qui il n'y a rien à comprendre »; »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1115

« Tout l'effort de la société — peut-être : tout l'effort des hommes — tend à montrer, à rendre intéressantes les femmes qui ne valent pas grand'chose. Les femmes se plaignent d'être mal jugées. Mais pourquoi acceptent-elles que ce soit toujours ce qu'il y a de pire dans leur sexe qui occupe le devant de la scène ? Et pourquoi accueillent-elles si facilement toutes les suggestions de l'homme, tendant à les rendre avilies et grotesques ? Pourquoi une telle méconnaissance de leur intérêt ? Presque toutes les fois qu'une femme se dégrade — par une mode qui l'enlaidit, une danse qui l'encanaille, une façon imbécile de penser ou de parler, — c'est l'homme qui l'y a poussée; mais pourquoi ne résiste-t-elle pas ? Tout le monde a remarqué que le corps de la femme, quand il n'est plus jeune, a tendance à devenir un objet ridicule et quelquefois repoussant, la joie des caricaturistes, tandis que le corps de l'homme, aux approches de la vieillesse, garde tournure beaucoup mieux. Il en est de même au moral. Quand une femme n'est pas, moralement, quelque chose de très bien, elle devient quelque chose d'abominable : c'est tout l'un ou tout l'autre. Quand une femme n'a pas de tenue, n'est pas très bien élevée, elle est une stryge. — Je croyais que vous n'aimiez que les femmes faciles. — J'aime les femmes qui ont beaucoup de tenue, et qui en même temps sont faciles. — Ah, voilà! — Vous savez ce qu'est une stryge ? Eh bien, je dirais garce, si j'étais un homme à employer une autre langue que la langue du Quai Conti. Toutes les femmes à chichis, les femmes vamp, les « grandes coquettes », les femmes ohé! ohé!, toutes ces femmes qui font mettre leur photographies dans les magazines, tout ce que j'englobe sous ce nom : la femme-tête-à-gifle, sont des stryges. Ce sont ces stryges qu'ont vues les religions, les philosophies, les moralistes qui, depuis des millénaires, jettent le mépris ou l'anathème sur la femme, mais leur tort a été de ne pas marquer fortement que c'étaient ces femmes-là qu'ils visaient, et elles seules. Et j'en reviens à ma question : pourquoi les femmes sérieuses et honnêtes ne se défendent-elles pas contre ces stryges ? Ne se rendent-elles pas compte du tort que ces stryges leur font ? Les pires ennemies de la femme sont les femmes. Je vous disais tout à l'heure que, lorsque je rencontre une femme pareille à celle que vous semblez être, je prends une meilleure idée de mon pays. Mais cela va plus loin : je prends une meilleure de tout votre sexe, et suis disposé à le traiter plus honorablement. Car si les hommes se conduisent mal avec les femmes, c'est parce qu'ils ont peur d'elles, parce qu'ils sont obsédés par les stryges. La plupart des mufleries, des abandons, des ruptures de fiançailles, etc., dont souffre la femme, c'est parce que l'homme, même si elle est gentille et aimante, a cru voir en elle, soit existante et cachée, soit inexistance encore mais virtuelle, la stryge. Et il a attaqué, ou il a fui : de toute façon il a traité sa compagne naturelle en ennemie. Et voilà comment, chez vous, les bonnes payent pour les mauvaises. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1119

« Si on suivait en moi une certaine veine, on trouverait une succession constante de choses bien. Si on en suivait une autre, une succession d'horreurs. Non pas de petites horreurs selon le code d'ici ou là, c'est-à-dire selon des usages locaux : de véritables choses hideuses que la conscience universelle ne pardonne pas. Si je n'avais pas fait ces horreurs, dans quel abîme de désespoir je serais aujourd'hui, et demain surtout, quand je vieillirai ! Ce n'est pas du tout par désir de m'humilier que je m'accuse devant vous. C'est par désir de voir les choses telles qu'elle sont, et que vous les voyiez vous aussi telles qu'elles sont, sans faiblesse, parce que c'est cela qui est bon. — Non, non, dit-il les yeux voilés, comprenant qu'elle voulait parler, non, laissez-moi me livrer à cet esprit qui se dandine devant moi. Laissez-moi être ce que je suis, jeta-t-il avec passion. — Que disais-je ? Ah oui, les veines... Eh bien, parfois ces veines courent parallèles. Parfois elle se coupent, et il arrive qu'alors elles s'entrelacent dans les arabesques, qu'elles jouent ensemble, car j'aime jouer. Et il arrive aussi qu'elles se fondent l'une dans l'autre, vous comprenez bien, le mieux et le pire fondus ensemble et indiscernables l'un de l'autre. Et dans le mal que je fais il y a une partie que j'aime et une partie que je n'aime pas, comme il y a dans le bien que je fais une partie que j'aime et une partie qui m'est indifférente. (Une des chattes éternua.) Certes, je jouis du mal, mais je crois que je jouis du bien avec plus d'intensité encore. Cependant, cela n'est pas sûr... Vous vous souvenez ? Un jour vous m'avez abordé avec un : « Alors, le moral est bon ? » Et je vous ai répondu : « Oui, mais l'immoral aussi. » C'est cela que vous devez comprendre. Attention à ne pas me préférer l'idée que vous vous faites de moi. Il faut me prendre avec mes dépendances : les écuries et les latrines. Quoi qu'il en soit, c'est cette jouissance du bien que vous avez ranimée en moi. Et ce qu'il faut que vous sachiez, c'est que j'ai joui et jouirai encore du mal que j'ai fait et ferai à d'autres êtres, mais que jamais — je vous le dis d'une façon solennelle — jamais je ne jouirai du mal que je vous ferai à vous. [...] — Vous, dit-il enfin, vous si sage, comme pour attendrir la destinée... C'est étrange, je vous veux du bien. Vouloir réellement du bien à quelqu'un, quelle chose mystérieuse ! Ce qu'il faut, c'est que vous soyez toujours contente. Une fois que vous serez sortie de mes mains, naturellement, parce que, tant que nous serons ensemble... Je voudrais tant circonscrire les dégâts que je ferai en vous ! — Ne m'aimez pas ! Ne m'aimez pas ! s'écria-t-il, avec un accent de violence. C'est la seule chance que vous ayez de ne pas souffrir de moi. Si, il y a en a une autre : c'est de bien vous rendre compte que je suis fou. Je ne suis pas que fou, mais je suis, aussi fou. (Il sentit sous ses lèvres bouger les doigts de son pied; en même temps, à travers sa grisante émotion, il trouvait que son pied était un peu maigre, il l'eût préféré plus puissant.) Marguerite de Rosebourg, dit-il, relevant la tête, je vous demande pardon pour l'avenir. C'est la partie divine de mon âme qui vous demande ce pardon, à l'avance, pour le mal que je vous ferai; et je vous le demande en baisant en pensée cette rayonnante Étoile du Saint-Esprit que moi aussi je porte invisiblement sur le cœur. Rappelez-vous bien ceci, Rosebourg : je vous ferai du mal, mais je ne jouirai pas du mal que je vous ferai. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1127

« L'homme n'aime de cœur que ce qu'il a d'abord désiré sensuellement; chez la femme, c'est l'inverse : elle aime d'abord de cœur, et de là coule au désir. Les hommes laids sont aimés, les femmes laides ne le sont pas. Une femme qui aime ne s'occupe pas si son homme n'est pas rasé depuis deux jours. Tandis qu'aucun homme n'embrasserait la femme à barbe. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1134

« La réaction 227 bis est la réaction, toute classique, par laquelle une femme, parce qu'elle est malheureuse, veut convaincre l'homme qu'elle aime que lui aussi il est malheureux. Non seulement parce qu'elle veut le consoler, être « maternelle », mais parce qu'elle est exaspérée de voir que l'homme est heureux, et heureux sans tirer son bonheur d'elle. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1145

« Quand on veut faire plaisir à quelqu'un, c'est comme lorsqu'on veut faire une belle œuvre littéraire, il faut le faire avec une sorte d'insouciance voulue : parce qu'on ne le ferait pas, si on réfléchissait trop... »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1167

« Épigraphe de cette lettre : le mot de l'Écriture : « L'amour d'une femme est plus à craindre que la haine d'un homme. » Objet de cette lettre : La colère des hommes s'échappe en violence. La colère des femmes s'échappe en bêtise. C'est ce second point que nous allons démontrer. Je vous envoie, dûement « recommandé », un document que je tiens pour remarquable. Vous me le rendrez quand, dans dix jours, j'aurai le plaisir de vous voir à Toulouse. Une femme rebutée, parce qu'elle ne plaît pas, accueille avec transport, d'une vieille folle littéraire, une affirmation extravagante sur son « insulteur ». Cette affirmation la justifie, en la convainquant que ce n'est pas à cause de son physique qu'elle est rebutée, et la venge, en lui montrant son insulteur sous un jour « infâme ». On lui fait voir le portrait qu'un quidam, qui ne ressemble en rien à l'insulteur, sinon, si vous voulez, en ce que l'un et l'autre ont deux yeux, un nez, etc., mettons même qu'ils ont en commun la couleur de leurs cheveux. Aveuglée par sa passion, elle reconnaît dans le portrait son insulteur; si elle était devant le juge d'instruction, elle ferait serment que c'est lui. Mais ce n'est pas assez de mépriser; on vous a eue en pitié, il faut plaindre à son tour : on transmue son mépris en pitié. Enfin, comme avec tout cela elle aime toujours, comme le réel, en la décevant, l'a rejetée sur le versant des ombres, elle se met à prier pour l'insulteur, ce qui lui permet de couronner son triomphe, en se caressant à sa grandeur d'âme, et peut-être de poursuivre ses relations avec l'insulteur, sans dommage pour son amour-propre, par le moyen de letttres bi-hebdomadaires de douze pages, où elle continuera de lui parler de lui-même, sous le couvert de l'Être infini. Car, sur les pancartes des cages, dans les jardins zoologiques, les mâles sont indiqués par une flèche, qui veut dire qu'ils percent le cœur des femmes, et les femelles sont indiquées par une croix, qui veut dire qu'elles se réfugient dans le Crucifix. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1190

« Vous savez ce que je pense de l'automatisme des réactions chez la femme. Toutes les réactions que l'on trouve ici sont depuis longtemps classées et décrites. La réaction par laquelle une femme refusée accuse « l'insulteur » d'être un M. de Charlus est la réaction 174. La réaction par laquelle une femme malheureuse veut convaincre l'homme qu'elle aime qu'il est malheureux est la réaction 227 bis. La réaction par laquelle une femme désespérée fait du christianisme est la réaction 89. La réaction par laquelle une femme désespérée dit qu'elle est malade, pour essayer une dernière fois d'exciter chez son ami cette « pitié pour les femmes » que l'on réprouve et que l'on appelle à la fois, est la réaction 214. [...] Enfin, il faut reconnaître aussi qu'une des réactions les plus typiques, la réaction 175, par laquelle une femme refusée accuse « l'insulteur » d'impuissance sexuelle, ne s'est pas encore manifestée ici. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1191

« Se trompant sur ce qu'est et sur ce que pense l'homme, la femme se trompe dans la façon de le conquérir. Une femme vous exaspère en entrant chez vous pendant votre travail, ou en vous faisant de petits cadeaux, ou en vous relançant trop souvent, ou en vous amenant de ses amis, qui ne sont pas les vôtres. Vous êtes assez bien avec elle pour le lui dire en toute franchise. Eh bien ! après un petit arrêt, elle recommence. Une femme vous enchante par son absence de coquetterie. Vous le lui répétez sur tous les tons, vous vilipendez devant elle les femmes à chichis. Eh bien ! après un temps plus ou moins long, elle se met à devenir coquette, à donner dans les manèges. Toutes les femmes perdent leur situation auprès de vous par leurs inlassables demandes d'argent; un jour vient où elles ont empoisonné dans sa source l'agrément qu'elles vous procurent; on rompt. Or, ne demandant rien, elles auraient tout eu, tant on en aurait été touché. Mais non, c'est plus fort qu'elles : on dirait qu'il y a quelque chose qui les oblige à être maladroites. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1193

« Je n'ai jamais été insulté par une femme jolie; toujours par des laides. Quand une inconnue m'insulte par lettre, je sais qu'elle est laide. »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1195

« Je termine sur un vers de Juvénal : « Le ressentiment d'une femme est implacable quand l'humiliation aiguillonne sa haine. » »

— Henry de Montherlant, Pitié pour les femmes, éd. Gallimard, p. 1196


Essais
Essais : Carnet XIX
« La seule recette : faire des œuvres belles. Ensuite, advienne que pourra. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, p. 976

« On demandait à Gladstone combien de discours un homme peut préparer en une semaine. Il répondit : « Si c'est un homme de haute capacité, un seul. Si c'est un moyen, deux ou trois. Si c'est un imbécile, une douzaine. » »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, p. 976

« Dans les cahiers de jeunesse de Barrès, on trouve, tracée de sa main, une liste des membres de l'Académie, telle qu'elle était composée au moment où il rédigeait ce journal. Le nom de chaque académicien y est suivi de la date de sa naissance. Cela veut dire que le jeune Barrès voulait avoir toujours « sous la main » l'âge de chaque académicien, afin de ne s'user pas à faire des lèches à ceux qui avaient trop de chances d'être morts dans le temps qu'il se présenterait lui-même à l'Académie. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, p. 978

« Depuis toujours, le monde ravagé pour faire triompher des conceptions aujourd'hui aussi mortes que les hommes qui moururent pour elles. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, p. 978

« Qui me rend visite me fait honneur. Qui ne me rend pas visite me fait plaisir. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, p. 979

« La « soif » du martyre des premiers chrétiens venait sans doute de leur désir de confesser leur foi et de gagner le paradis, mais peut-être aussi de ce sentiment éternel comme le monde : l'honneur de se sentir persécuté par un gouvernement qu'on méprise. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, p. 979

« Il y a autant de plaisir à être droit qu'à être retors. Autant à être cruel, qu'à être clément. Autant à être âpre, qu'à se relâcher. Il faut donc alterner, ce qui non seulement varie le plaisir, mais décontenance l'adversaire. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, p. 980

« On dit que la vie est courte. Elle est courte pour ceux qui sont heureux, interminable pour ceux qui ne le sont pas. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, p. 981

« Ces jours où l'on a envie de se tuer en songeant que pendant trente ans encore on aura de la cendre de cigarette qui tombera sur son gilet. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, p. 982

« On dit que « ne respectent rien » ceux qui ne respectent que ce qui mérite d'être respecté. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, p. 983

« Il y a un conte de Dostoïevsky où il parle des Français qui « ont beaucoup d'objets ». Les hommes d'actions, eux, ont beaucoup d'actes, beaucoup trop d'actes. Devant le ridicule de l'action, on se prend à se dire que les hommes d'action n'ont été créés que pour les historiens tirent d'eux des romans (baptisés histoire), les dramaturges des pièces, et les sages des considérations. Il y a un côté par lequel Alexandre, César, Cortès, et aussi Auguste, Charles-Quint, Napoléon, etc., sont des imbéciles, celui par lequel ils ne perçoivent pas que presque tout ce qu'ils font est inutile et condamné d'avance : ils agissent pour agir, c'est une sorte de vice. Inutile, sauf au point de vue de la rêverie, qui est justement celui qu'ils méprisent le plus. Certains animaux, dans certains de leurs actes, font paraître une semblable imbécilité. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, p. 990

« « Vous serez sur l'estrade. » Sur l'estrade, et j'avais moins de trente ans! Je crois que je lui répondis quelque chose comme : « Je ne vais pas sur les estrades », et, en effet, je n'y ai été de ma vie (sauf, évidemment, les trois ou quatre fois où j'ai fait une conférence). J'aime mieux le banc des pauvres que l'estrade. Non par humilité, mais tout ce qui sent l'importance me hérisse. L'ombre seule de la vanité me fait peur. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, p. 992

« Problème métaphysique. — Qu'est-ce que le néant? L'avez-vous vu? Pouvez-vous le décrire? - Mais oui. Il est commandeur de la Légion d'honneur, et on publie ses Œuvres complètes. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XIX, éd. Gallimard, p. 993

Essais : Carnet XX
« Qu'y a-t-il de plus absurde que ces feux et ces larmes, quand, dans trois mois, on changera de trottoir pour échapper à qui les provoquait? L'amour ne peut être pris au sérieux que par l'artiste qui en tire une œuvre d'art. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, p. 999

« X... vous dit : « Y... est un vendu. » Vous dites au premier rencontré : « Y... est un vendu. » X... vous dit : « Z... est un très chic type. » Vous dites au premier rencontré : « On dit que Z... est un très chic type. » »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, p. 1006

« Il faut lutter avec force contre la tentation déraisonnable de nous retourner contre nos idées les plus chères, le jour que nous les voyons vulgarisées et dégradées par le succès enfin venu. On trahit les causes vaincues par lâcheté, et les causes victorieuses par délicatesse. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, p. 1007

« On ne réfléchit pas assez au fait que, pendant dix-huit siècles, le christianisme empêchant les Européens de se suicider, il leur a fallu beaucoup plus de courage pour supporter l'adversité qu'il n'en a fallu aux Anciens. Le Moyen Âge, la Renaissance, tant d'atrocités et pas un suicide! Tout supporté jusqu'au bout, sans fuir! C'est à peser quand on juge les civilisations. Le jour où, en France, on commence de se suicider — après la Révolution, — on renoue avec le monde qui s'éteignait vers le IIIe siècle. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, p. 1008

« En tous pays, la loi s'hypnotise sur des délits infimes, ou qui même n'en sont pas, et déshonore un homme pour des actes que tout individu intelligent juge moralement et socialement sans importance. Mais la bassesse de l'âme, la médiocrité, la lâcheté, l'absence de patriotisme, ou plutôt l'antipatriotisme « passent à travers », et désagrègent peu à peu une nation à laquelle des millions de faux délits ne portaient pas le moindre préjudice. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, p. 1009

« Un chien qui aboie vaut mieux qu'un homme qui ment. Je ne pense pas, disant cela, à l'homme qui ment dans sa vie privée, ce qui est nécessaire et souvent salutaire. Mais à celui qui ment au peuple : l'homme politique, l'écrivain à « message », le général, etc. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, p. 1011

« La vie : un océan dont les moralistes, les philosophes, enfin les doctrinaires de toute sorte prétendent faire le petit quadrilatère d'eau calme et classifiée qu'est un marais salant ou un parc à huîtres. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, p. 1011

« On parle toujours de la consolation que c'est pour certains, de croire au paradis. On oublie la consolation que c'est pour d'autres, de ne pas croire à l'enfer. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, p. 1018

« Si loin que nous disons, nous ne disons que la moitié. Je développe. Tous les hommes publics, à peu près, sont des hommes-mensonge. De là le désir infini qu'on a, de ne pas les fréquenter. On peut n'être pas un homme-mensonge, mais être un homme qui ne veut dire que la moitié de la vérité, ce qui est déjà beaucoup. Pour que le monde vous laisse jouir en paix de ce qu'il est capable de donner. Il est non seulement des plus dangereux, pour soi, de dire aux hommes la vérité sur ce qu'ils sont, sur ce que sont les problèmes et les causes pour lesquels ils s'agitent, sur ce que valent leurs actions, sur ce qu'est la destinée, sur ce qu'est « l'ordre » de ce monde (on voit quelquefois un mouvement de haine envelopper un écrivain, et c'est seulement parce qu'il s'est avancé jusqu'à dire la moitié de la vérité), mais cela est aussi des plus inutile pour eux. Laissons-leur le mensonge où ils veulent vivre. Contentons-nous, par respect pour nous-même, de n'y rien ajouter. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, p. 1018

« Peut — être pourrait — on diviser le monde en deux familles : ceux qui acceptent aisément de s'ennuyer, et ceux qui ne l'acceptent pas, ou ne l'acceptent que très peu. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, p. 1019

« Il faudrait parler plus rarement d'imbéciles, et plus souvent d'imbécilités, puisque la passion l'ignorance et la légèreté poussent beaucoup de gens qui ne sont pas du tout des imbéciles à dire et à faire des imbécilités. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, p. 1019

« L'expérience de Lubbock. Une bouteille, le goulot ouvert, où sont enfermées des abeilles. Le cul de la bouteille est tourné vers la lumière, le goulot vers l'obscurité. Toutes les abeilles se poussent vers le cul y meurent d'inanition, quand le goulot est ouvert de l'autre côté. C'est l'aveuglement et l'obstination stupide des femmes. Et les abeilles passent pour intelligentes, comme les femmes passent pour fines. C'est aussi la mode. Ne voit que ce qui est à la mode, et y périr, quand la vérité est ailleurs, — à côté. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, p. 1021

« L'homme qui ne veut pas déplaire au public. — à sa « clientèle » — est, quoi qu'il fasse, un marchant. Même et surtout quand il est un littérateur. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XX, éd. Gallimard, p. 1021

Essais : Carnet XXI
« Comment nettoyer la conscience? En la frottant avec du réel. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1026

« La Bêtise ne consiste pas à n'avoir pas d'idées; cela, c'est la Bêtise douce et bien heureuse des animaux, des coquillages et des dieux. La Bêtise humaine consiste à avoir beauoup d'idées, mais des idées bêtes. Les idées bêtes — avec bannières, hymnes, haut-parleurs, voire tanks et lance-flammes pour la persuassion — sont la forme raffinée, et la seule véritablement effrayante, de la Bêtise. Car elles sont par essence dynamiques; par essence elles suscitent l'enthousiasme; elles sont faites de toute éternité pour être la Bêtise dorogée. Qui décrira dans un grand mythe l'imbécile ou le charlatan moderne ouvrant la nouvelle boîte de Pandre, d'où s'échappe et se répand sur le monde la plaie volante des idées bêtes, dont les hommes meurent en les adorant? »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1027

« Toute ma vie, j'ai eu les passions à la surface, mais, dans le même temps, le fond calme comme le fond de la mer pendant la tempête. Il faut connaître les deux, et ensemble : ces attaches et ce détachement. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1033

« Ne cherchez pas à m'intéresser à ce qui ne m'intéresse pas naturellement. Il y a assez de choses en ce monde qui m'intéressent naturellement, et donc je ne sais et ne saurai jamais rien, sans que je m'intéresse encore à la préhistoire des Incas. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1034

« Lequel est le plus à craindre, l'imbécile ou l'intelligent? »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1034

« Même en politique, on accepterait des passionés vrais. Mimes de la passion, singes de la passion, vous nous lassiez de glace. Et si la singerie est payée! »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1035

« La plupart des gens acceptent très volontiers que le premier venu ait des droits sur eux. Un inconnu les force à venir au téléphone, les force à répondre à sa lettre, les force à se mettre en colère parce qu'il les insulte, ou à démentir parce qu'il les a calomniés. J'imagine le volé qui ne porterait pas plainte : eh quoi! suffirait-il donc qu'on me volât pour prendre pied dans ma vie? »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1036

« Rien ne compromet moins que l'ironie. Un paradoxe bien insolent est le chef-d'œuvre de la prudence. On avoue, et on avoue impunément. Ce n'est plus le roi nu du conte, que tous voyaient nu, sans que personne en voulût convenir. C'est le roi nu que personne ne voit nu. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1036

« Moins un individu est évolué, plus il juge une œuvre littéraire du point de vue moral. Le jugement de la masse sur une œuvre littéraire sera donc toujours, d'abord, un jugement de moralité. A part quelques exceptions, tout écrivain qui arrive à obtenir une adhésion de masse, n'y arrive que du jour où il a donné à ses ouvrages une teinte morale (peu importe si dans le fond ils sont immoraux). Le truc est bien connu des auteurs. Mais le public, même cultivé, lorsqu'il apprécie le succès littéraire, en oublie souvent cette condition. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1036

« Un tel disait des choses sages, et s'en vantait. Un sage lui dit : « Si tu étais vraiment sage, ce que tu viens de penser et de dire, tu l'aurais pensé et ne l'aurais pas dit. » »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1037

« Tout grand homme n'agit et n'écrit que pour développer deux ou trois idées. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1039

« Reconnaître ses torts, et s'en excuser, même avec naturel, peut être le contraire de l'humilité, peut être la conscience enflée de sa puissance, et qu'il n'y a pas de gêne à en étaler les faiblesses. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1039

« Certains (de tout âge, de tout sexe) ont l'apparence d'être des solitaires, passent pour tels, d'ailleurs se donnent pour tels; cela des années durant, une longue période de leur vie. Mais qu'ils tombent d'aventure dans une communauté avec laquelle ils s'accordent, les voici des plus sociables, et plus heureux encore qu'auparavant. Ils étaient des sociables qui s'ignoraient, faute de l'occasion. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1039

« Ne rien promettre, et donner en disant que l'on refuse. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1041

« Ravissante et profonde histoire d'Hideyoshi (homme d'État japonais du XVIe siècle), d'après A new life of Toyomi Hideyoshi, par Walter Dening. — Hideyoshi, âgé de treize ans, entre dans une bande de brigants. Le chef, Koroku, qui a a fancy (un sentiment) pour lui, lui promet : « Je te donnerai tout ce que tu voudras. » — « Donne moi ton sabre. » Koroku refuse : le sabre est un souvenir de ses ancêtres. Hideyoshi insiste. Koroku lui dit : « Je ne peux te donner ce sabre. Mais je vais te dire ce que tu peux faire : vole-le, si tu en es capable. En ce cas, je n'aurais commis aucun péché contre mes ancêtres. » Koroku veille toute la nuit, pensant d'Hideyoshi viendra voler le sabre durant son sommeil. Mais non. Le lendemain, Hideyoshi lui dit : « J'ai réfléchi. Je suis indigne de ce sabre. Et puis, je ne veux pas te prendre un souvenir de famille. » Koroku s'endort donc tranquille, et Hideyoshi lui vole son sabre. Le matin, aux remontrances de Koroku, l'enfant répond : « Vous n'aviez qu'à percevoir que je mentais, et à ne pas dormir. Je garderai le sabre. » « Ce garçon, dit alors Koroku, est merveilleusement intelligent. Il sera un jour un grand homme. » Et il s'attacha à lui plus que jamais. Deux moralités : 1. Le jeu, le fair play, la gracieuse légèreté. « Vole mon sabre si tu peux, et il sera à toi. » 2. Quiconque prétend avoir, ou, par l'emploi qu'il occupe, devrait avoir la pénétration, le flair psychologique, l'art de la conduite humaine, n'as pas le droit de se plaindre d'être dupé. Dupé, c'est lui qui est dans son tort, plus que son dupeur. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1044

« Nul n'a appris de moi le tir, qui n'ait fini par faire de moi sa cible. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1045

« Cette boîte vraiment infernale, ce coffret de Pandore qu'est un appareil de radio, quand de tous les points de l'univers des voix se mettent à mentir ensemble. Oui, vraiment, c'est l'enfer. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1047

« On ne devrait jamais écrire d'un auteur sans avoir tout lu de lui, et tout se rappeler. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXI, éd. Gallimard, p. 1061

Essais : Carnet XXII
« Je lis peu les poètes contemporains, et la portée de ce que je vais dire en sera réduire. Après lecture de Les Chansons et les Heures, je dis que Marie Noël est pour moi le plus grand poète français vivant; mettons, si l'on veut, le seul qui me touche. Cela est inégal, et une voix amie eût dû conseiller la suppression de plus d'une strophe et de plus d'un poème. Mais ce qui est bon l'est admirablement. Cela jaillit du cœur, et cependant cela est ouvré par l'art de plus attentif; plein d'art, et cependant cela n'est jamais de la littérature. Le tour est celui de la plus vieille France; le christianisme n'y est pas agaçant. Des poèmes comme L'Épouvante, L'Adante de La Fantaisie à plusieurs voix, la Prière du poète, A tierce sont parmi les plus beaux poèmes qui aient jamais été écrits en langue française. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, p. 1065

« Il faut dans toute société un certain nombre d'êtres désarmés, afin que les gens puissent se délivrer impunément, sur eux, de leur méchanceté, qu'ils sont tenus de retenir ailleurs, par crainte de la riposte. Ce sont les têtes de Turc, les boucs émissaires, etc. On peut imaginer quelqu'un qui se sentirait la vocation — héroïque — d'être un de ces sacrifiés. Ces personnes qui, par un génie secret, concentrent sur elles-mêmes une telle quantité de tristesse, qu'elles en font figure de sentinelles qui défendent les autres contre les entreprises du malheur. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, p. 1065

« Garçons et filles, grand tort de les élever pour la société, non pour eux-mêmes. On ne cherche pas à développer des individualités fortes; on préfère des êtres dociles et qui ont des besoins par lesquels on les tient. Cela est sensible surtout dans l'éducation des filles. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, p. 1068

« Dans la pesée d'une vie intervient une donnée essentielle, d'ordinaire assez inconnue du monde : c'est le prix qu'on a payé ce qu'on a obtenu. Non pas en argent mais en actes ennuyeux ou indignes. Tekke vie paraît admirable, où out à été payé si cher, en obéissances et en pensums, qu'une telle vie, si brillante soit-elle, ne peut être tenue que pour un échec. Et telle autre appraît un peu ratée, qui a été magnifiquement réussie, parce qu'on a payé très peu. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, p. 1068

« Qui s'est fié à toi, ne le déçois pas; ce serait te décevoir toi-même. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, p. 1071

« Assez énergétique pour être méchant, assez philosophe pour ne pas l'être. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, p. 1072

« Si la paresse est le refus de faire non seulement ce qui vous ennuie, mais encore cette multitude d'actes — tissu de la vie — qui, sans être à proprement parler ennuyeux, sont tout inutiles, alors la paresse doit être tenue pour une des manifestations les plus authentiques de l'intelligence. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, p. 1072

« Il y a une façon de ne pas se défendre qui, paraissant lâcheté, est le comble de la force : la force massive de l'indifférence. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, p. 1073

« La politique : je préfère en être victime que complice. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, p. 1073

« Depuis dix ans je répète : plutôt être à l'écart que les commander. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, p. 1075

« Faire passer sans cesse toute sa vie dans un tamis. Secouer sans cesse, et ne garder que ce qui reste : ce qui est de votre part essentielle. Sans cesse, comme par une seconde nature. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, p. 1078

« Il ne faut jamais demander aux êtres de ne pas mentir. Et il ne faut jamais leur en vouloir de mentir. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXII, éd. Gallimard, p. 1078

Essais : Carnet XXIV
« On flétrit du nom d'inadaptés les honnêtes. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXIV, éd. Gallimard, p. 1092

« Être à la page. — « Je suis par la naissance du parti du passé. » Cela m'a valu des insultes, « Nous nous paserons donc de vous. » Eh! Madame, quatre ans et demi hors de France, sans publier, vivant incognito, n'est-ce pas suffisant pour montrer que ce qu'on désire, c'est que les autres se passent de vous autant que vous vous passez d'eux. Il est évident que la vulgarité est aujourd'hui d'être « moderne », à la page, de se tenir au courant, de flairer l'avenir. Mais la vulgarité peut se trouver être la vérité. Or, je cherche au nom de quoi on condamnerait ceux qui sont hors de leur époque. Qu'y a-t-il dans l'avenir de supérieur au passé? »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXIV, éd. Gallimard, p. 1095

Essais : Carnet XXV
« Rien que nous n'affirmions, qui ne doive être un peu contredit. Et d'abord par nous-mêmes. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXV, éd. Gallimard, p. 1119

« Le rôle constant de la presse parisienne est de ne pas donner d'importance à ce qui est important, et d'en donner à ce qui ne l'est pas pas. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXV, éd. Gallimard, p. 1121

« Une règle d'or : faire peu de choses. Ne pas écrire trop. Ne pas lire trop. Ne pas trop entreprendre. Ne pas connaître trop de gens. Ne pas connaître trop de questions : en ignorer un certain nombre systématiquement. Refuser sans cesse. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXV, éd. Gallimard, p. 1121

« Le problème de la bêtise est peut-être le plus insondable de tous. On a rêvé des édens où les hommes seraient tous heureux, des édens où ils seraient tous bons. On n'a jamais rêvé d'edens où ils seraient tous intelligents : cela n'est pas même rêvable. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXV, éd. Gallimard, p. 1122

Essais : Carnet XXVI
« Grande chose que réussir dans ce qu'on méprise. Il y faut vaincre et les autres et soi. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVI, éd. Gallimard, p. 1127

« Vis seul, tu donneras moins de prise qu'entouré d'une garde du corps; moins de prise qu'entouré d'amis. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVI, éd. Gallimard, p. 1129

Essais : Carnet XXVII
« Qui aime, attend. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVII, éd. Gallimard, p. 1140

Essais : Carnet XXVIII
« Comme tous les gens un peu faibles d'esprit, il avait besoin d'avoir des idées très nettes. Il était donc méticuleux dans les affaires matérielles, et doctrinaire dans les affaires morales. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVIII, éd. Gallimard, p. 1146

« Quel curieux patron j'aurais fait! Si un de mes employés était venu me demander un jour de congé parce que sa femme accouchait ou parce que son enfant était malade, je le lui aurais certes accordé de bon cœur. Mais s'il m'avait dit : « Accordez-moi un jour de congé parce que j'ai eu des embêtements, que je veux me saouler la gueule, et me reposer le lendemain », ou encore : « ...parce que c'est le premier jour de soleil et que j'ai tant envie d'aller au bois de Vincennes avec ma petite amie », je crois que je le lui aurais accordé de meilleur cœur encore. — Mon respect du plaisir des autres, respectant le mien. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVIII, éd. Gallimard, p. 1147

« Le langage intelligent crée des malentendus parce que les gens ne sont pas intelligents. La langue particulière, notamment, qu'il faut parler aux femmes, aux enfants, au peuple : une langue qui ne doit pas être logique, ne doit pas être précise, et souvent ne doit pas même être correcte. Et qu'il faille sans cesse veiller à cela. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVIII, éd. Gallimard, p. 1151

« Rousseau dit : « Enlevez les hommes, et tout est bien. » Je réponds : « Enlevez les hommes, et tout n'est rien. » »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXVIII, éd. Gallimard, p. 1154

Essais : Carnet XXIX
« Le caractère de l'intelligence est l'incertitude. Le tâtonnement est son outil. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXIX, éd. Gallimard, p. 1161

« La raison de ma tristesse est moins le mal lui-même, que cette indulgence et cette complaisance pour la malhonnêteté que je rencontre chez nombre d'êtres, hommes et femmes, qui dans leur vie sont nets. Ils rient ou sourient des pires crapules, leur serrent la main, les invitent chez eux et sont invités par eux avec plaisir. Ensuite, on les voit communier, être stricts avec leurs enfants, etc. et cela de bonne foi. Ces gens sont toujours frottés de « monde » plus ou moins. A côté de cela, il y a des êtres, sans éducation et sans monde, qui montrent devant la malhonnêteté un écœurement qui n'est pas feint. Je ne sais si leur vie est nette, et il est possible qu'elle ne le soit pas. Je sais seulement que certaines choses les écœurent, qui n'écœurent pas les autres, et cette différence à mes yeux est énorme. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXIX, éd. Gallimard, p. 1165

« Le sens du baiser est : vous êtes pour moi une nourriture. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXIX, éd. Gallimard, p. 1167

« Chaque époque se persuade qu'elle est la plus malheureuse, et même les « grands siècles ». Voir dans Lucrèce le Senectus, dans Sénèque le triste état d'Athènes au Ve siècle, dans Ferrero la tristesse et l'inquiétude des contemporains d'Auguste (notées aussi par Flaubert). Les intellectuels romains du temps de Tibère attendaient la fin imminente du monde romain, lequel dura encore trois cents ans et plus. Les gens de l'an mille se croyaient à la fin du monde, Philippe II à la veille de la grande désolation de la chrétienté. On ferait plusieurs tomes avec les lamentations des chroniqueurs italiens du siècle de Léon X. Et Bossuet écrit du siècle même de Louis XIV : « Nous vivons en un temps où toutes choses sont confondues. » C'est que rien n'égale ce qui nous touche personnellement. Et puis, il y a « l'honneur de souffrir ». Prenons garde pourtant de ne pas prendre à la légère le déclin actuel de la France, sous prétexte que toute heure se croit déclin. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXIX, éd. Gallimard, p. 1172

Essais : Carnet XXX
« On veut me forcer à haïr une partie de mes compatriotes, quand mon cœur est avec eux tous. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXX, éd. Gallimard, p. 1179

« Il y a un conte chinois, Les Épouses infidèles, où un roi fait venir, d'une autre province, un jeune homme dont il a entendu louer la grande beauté. Mais, au moment de partir, le june homme prend sa femme en flagrant délit, sa figure s'altère, il devient laid. Première moralité : Nous sommes laids à cause de nos soucis. Cependant le jeune homme, installé chez le roi, voit la femme du roi qui fait l'amour avec un palefrenier dans l'écurie. ALors, il se dit : « Si la femme du roi fait cela, à plus forte raison la mienne. Ses soucis à l'instant se disspent, et il redevient aussi beau qu'auparavant. » Seconde moralité : Le malheur des autres nous console. Troisième moralité : Ne nous chagrinons jamais pour ce qui vient d'une femme. Là-dessus le roi et le jeune homme, « songeant qu'il n'est pas possible, en compagnie des femmes, de s'adonner aux occupeations saintes », se retirent dans la montagne et obtiennent tous deux la sagesse de Bouddha. (Contes et Légendes du bouddhisme chinois, Bossard, 1920.) »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXX, éd. Gallimard, p. 1179

« « Vos idées sont aussi inactuelles que votre style. » Tant mieux, c'est ce qu'il faut. Aussi peu Français-1935 que possible; ce qui est certainement la meilleure façon d'être Français tout court. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXX, éd. Gallimard, p. 1188

« Nous ne savons rien de la plupart des questions, ou nous en savons si peu. Cependant il faut parler, opiner, briller. Si encore vous êtes un homme célèbre, vous pouvez vous taire dans une réunion; votre crédit n'en sera pas diminué. Mais si vous êtes un obsur et si on vous demande, par exemple, ce que devrait être notre politique à l'égard de l'Allemagne, répondez donc que la question n'est pas de votre ressort et que vous n'en savez rien : vous verrez de quel œil on vous regardera. Vous passerez ou pour un imbécile, ou pour un homme désagréable, ou pour un homme qui se désintéresse du destin de son pays. Vous sortirez vous étant fait des ennemis. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXX, éd. Gallimard, p. 1192

Essais : Carnet XXXI
« Je finis ma lettre, sans finir de vous aimer. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXI, éd. Gallimard, p. 1202

« Quand il y a très longtemps qu'on a menti et qu'on doit s'y remettre à l'improviste, on est comme un homme qui est resté vingt ans sans monter à vélo : gare la bûche! »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXI, éd. Gallimard, p. 1204

« On dit : « Il n'est pas sérieux », de quelqu'un qui ne prend pas au sérieux ce qui ne mérite pas de l'être. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXI, éd. Gallimard, p. 1204

Essais : Carnet XXXII
« Croire que Costals est Montherlant témoigne de la même faiblesse d'esprit que confondre le désir de bonnes relations avec l'Italie avec une adhésion au fascisme, ou l'antibolchévisme avec le vœu que soit rompu le pacte franco-russe. Notre critique littéraire, comme notre politique, se laisse dépasser par l'étranger, parce qu'elles sont devenues primaires, et ne font plus des distinctions vitales, ce qui finira par causer la ruine de notre culture. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXII, éd. Gallimard, p. 1218

« Chefs d'État, toujours dupeurs, toujours imposteurs, toujours sanglants. Et ils se font aimer! »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXII, éd. Gallimard, p. 1221

« Se tenir à l'écart de tout le plus possible. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXII, éd. Gallimard, p. 1221

Essais : Carnet XXXIII
« On nous conseille, non sans raison, de nous lier seulement avec ceux qui ont le même état de fortune que nous; sinon, richards ou misérables, leur commerce nous mettrait dans une semblable gêne. Mais je dirai aussi : nous ne devons fréquenter que les gens qui ont le même degré d'intelligence que nous. Plus intelligents, ou moins intelligents, ils nous accablent. (Plus intelligents, on s'en tire par un silence gros de prétentions; moins intelligents, par la plaisanterie, ou, quand cela est possible, en couchant avec eux.) »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIII, éd. Gallimard, p. 1229

« Tout ce que nous donnons nous manquera un jour. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIII, éd. Gallimard, p. 1234

Essais : Carnet XXXIV
« Malraux, comme nous tous à la guerre, a dû avoir des mes qui n'étaient pas drôles. Mais il a fait le silence sur les cons, alors que c'est un des drames de la guerre, qu'on la fasse toujours côte à côte avec des imbéciles (drame qui me l'empoisonnerait, aujourd'hui, et jusqu'à détruire, je le crains, tout sentiment autre que l'impatience de cette imbécilité), ou du moins avec des compagnons qui ne se battent pas pour les mêmes raisons que vous (abcès qu'il faut préserver, ou bien ouvrir?) »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIV, éd. Gallimard, p. 1245

« Ces idiots politiques, mais infiniment alertes sur leurs propres intérêts, serins ici et renard là, me font penser à ces domestiques qui nous accablent par leur stupidité dans notre service, mais, en combines et friponneries dans ce qui les concerne, sont maîtres à s'agenouiller devant. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIV, éd. Gallimard, p. 1247

« Toujours la tauromachie. — Pendant cette longue période où elle hésite, réfléchit, recule, calcule, malgré tout son effort elle est condamnée à venir où je l'attends, comme le taureau, quels que soient sa vaillance, les cheveaux et même les hommes qu'il ait étripés est destiné fatalement à mourir. Et il y a dans cette défense vaine (et si sincère) quelque chose ensemble de touchant, de ridicule, de pitoyable, et de grandiose. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIV, éd. Gallimard, p. 1248

« Un vieux journal espagnol qui me tombe sous la main. Quelle pitié que cette vue petite que donne la fureur politique. Un parti politique, cette pauvre chose qu'est un simple parti politique, verse des larmes de crocodile sur la « honte », le « déshonneur », l' « humiliation » du général (du parti adverse) qu'il a fait dégrader (?) par ses tribunaux. Comme s'il y avait la moindre honte et le moindre déshonneur à être outragé par une « justice » qui n'a rien à voir avec la justice, qui n'est qu'une façade hypocrite de la passion et de la haine! Il n'y a pas plus de honte, en temps de guerre civile, à être condamné par la « justice » du parti adverse, qu'il n'y a de honte, sur le champ de bataille, à être blessé par l'ennemi. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIV, éd. Gallimard, p. 1248

« Je connais très bien tous les défauts des hommes, parce que je les étudie en moi. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIV, éd. Gallimard, p. 1249

« Croyez-vous sincèrement que sous un régime socialiste ou communiste il y aura des médecins et des infirmières, dans les hôpitaux français, qui traiteront les humbles avec conscience et respect, des administrations et une armée françaises qui ne les brimeront plus, des orphelinats pour leurs enfants qui seront autre chose que des prisons, etc. : en un mot, qu'ils seront traités, sans argent, de la même façon que s'ils en avaient? Il y a chez nous quelque chose à changer de plus profond qu'une structure sociale et des lois, c'est la qualité de l'homme. Or, rien n'indique que ce changement se prépare, même à la plus lointaine échéance. Au contraire, c'est une aggravation de l'inhumanité qui se prépare. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXIV, éd. Gallimard, p. 1250

Essais : Carnet XXXV
« Il faut se garder des raisons de n'aimer pas les gens, pour le jour qu'on les perdra. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XXXV, éd. Gallimard, p. 1263

Essais : Carnet XLII
« Pouvoir se retrouver devant la page qu'on a écrite hier sans rougir... »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLII, éd. Gallimard, p. 1278

« Le monde ne veut pas renoncer à avoir des opinions sur tout, si dérisoire que soit le fondement de ces opinions. Il veut continuer de tuer et d'être tué pour des illusions. Il nous y tue nous-mêmes, nous qui savons. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLII, éd. Gallimard, p. 1283

« Il faut choisir ou sa paix, ou dire de toute la vérité, et j'ai choisi : je n'en dirai qu'une partie (qui suffira à me valoir beaucoup d'ennuis). Sur les plans métaphysique, politique, social, sur le plan des idées et sur celui des mœurs, les vérités que j'aurais à dire, et qui sont évidentes pour quiconque est doué de raison — mais voilà, ce « quiconque » est la rareté même, — sont si à rebours de l'opinion générale, et je dirais presque universelle, si explosives en un mot, que ma vie privée serait atteinte par les éclats retombants. Je ne sacrifierai pas ma vie privée. Je tiens à elle plus qu'à mon œuvre. Est-ce là être lâche? Non, car je suis trop convainçu que l'expression de la vérité non seulement ne serait pas accueillie par la société, mais ne lui causerait que de l'indignation. Ne nous mêlons pas d'éclairer le monde, qui ne veut pas l'être. « Si ta bouche contient une vérité, garde ta bouche close » (proverbe persan). Il faut être raisonnable pour soi seul. Je crains même que nous ne risquions beaucoup en voulant à toute force éclairer ceux que nous aimons. L'amertume est de songer aux quelques centaines d'esprits libres, dans une nation, qui penseront de moi : « Quoi, cela seulement ? » Mais il le faut avaler. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLII, éd. Gallimard, p. 1285

« On n'a pas de haine pour celui qu'on méprise, quand il a une petite situation. Mais oui, s'il en a une grande. Alors le mépris s'adresse à ce qu'il est, et la haine à ce qu'il a usurpé. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLII, éd. Gallimard, p. 1293

Essais : Carnet XLIII
« La journée où nous avons découvert que tel auteur, mal connu de tous, est bel et bien un génie comme on le prétend, cette journée est une grande journée. Mais la journée où nous avons découvert que tel auteur, universellement tenu pour un génie, n'en est pas un, cette journée-là est une grande journée elle aussi. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLIII, éd. Gallimard, p. 1311

« S'en tenir à son sens propre, sans se laisser influencer; tantôt avec la foule, tantôt contre elle, ne branlant si peu que ce soit sur ce qu'on a mûrement jugé : je crois que c'est la chose la plus rare en ce monde, et la plus admirable. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLIII, éd. Gallimard, p. 1311

« «Vous dites du mal de la noblesse..., des femmes..., de tel auteur..., que vous ont-ils donc fait? » Cette basse tournoure d'esprit. Il leur est impossible d'imaginer qu'il existe des jugements objectifs. Du même ordre : « Comment pouvez-vous soutenir telle cause, vous qui n'avez pas besoin d'argent? » Et il n'y a rien à répondre à ces gens, car les raisons qu'on leur donnerait seraient de la même qualité qui précisement leur échappe dans l'objet de leur méprise. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLIII, éd. Gallimard, p. 1317

« Je n'admire pas très fort ceux qui sont si âpres à vouloir gagner du temps, car je sais trop bien à quelles bêtises ils emploient ce temps qu'ils ont gagné. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLIII, éd. Gallimard, p. 1317

« Seule une illusion nous fait croire que tel, tel, tel et tel être ne sont pas remplaçables. Quarante-neuf êtres sur cinquante sont remplaçables — et volontiers j'ajouterais : remplaçables en mieux — lorsqu'on se donne le mal de leur chercher un remplaçant. Cette vérité, si nous en sommes pénétrés, modifiera sensiblement notre conduite générale. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLIII, éd. Gallimard, p. 1323

« Rares sont les mots qui valent mieux que le silence. Comparés à lui, les mots les plus doux, les plus douces musiques sont discordants comme cris des sourds-muets. »

— Henry de Montherlant, Essais : Carnet XLIII, éd. Gallimard, p. 1323

Essais : Notes non datées
« Nous sommes entourés de gens imbéciles dans leurs jugements sur tout, cornichons en tout, incapables en tout, mais qui mènent fort bien leurs affaires, font fortune, se tirent des plus mauvais pas : imbéciles universellement, hormis sur leurs intérêts. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, p. 1334

« Dans un poème du Suisse Carl Spittler, un dieu et une déesse jouent aux cartes sur la terre, pendant que leurs âmes, sur l'Olympe, s'entretiennent de sujets sublimes. Je joue aux cartes sur la terre, pendant que ma vie véritable se passe dans un ailleurs où je me désintéresse profondément de ce jeu, et le renie à l'occassion. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, p. 1336

« Les gens vous livrent par méchanceté, par colère, par légèreté ou par lâcheté. Quand ils ne sont pas méchants, ni légers, ni coléreux, ils sont lâches, et parlent sous la menace. Quans ils ne sont ni méchants, ni lâche, ni légers, ils ont des colères où tout sort. Et ainsi de suite : ici ou là, toujours une fissure en eux, par quoi votre secret s'échappe. On ne peut se confier à personne. Et tel se confie sans cesse, qui le sait, si grand est notre besoin de nous raconter. Et cependant... Comme les poutres du bateau nous maintiennent à la surface de la mer, le secret que gardent sur nous des êtres nous maintient à la surface d'un autre abîme. Nous vivons à la merci de silences. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, p. 1336

« S'il y a les lécheurs, il y a les antilécheurs. Ce qu'ils adorent vient-il au pouvoir, les voici qui le boudent, pour se sentir libres. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, p. 1337

« Les hommes disent qu'ils veulent la vérité, et ils ne veulent que des explications. Ils disent qu'ils cherchent un sens à la vie, et ils ne cherchent qu'un but, c'est-à-dire une façon de tuer le temps. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, p. 1339

« Je me sens plus à l'aise lorsqu'on m'insulte que lorsqu'on me loue. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, p. 1340

« Avec maint homme intelligent, cultivé et sensible (des milieux littéraires) on passerait volontiers, en tête à tête, un dîner et une soirée agréables. Mais les convenances européennes (mari et femme collés ensemble continuellement, comme mouche sur de la m...) exigent qu'il vous impose sa stupide compagne, qui introduit entre chaque propos une énormité, et empêcherait à elle seule toute conversation digne de ce nom, si votre hôte n'avait voulu en outre que les frais qu'il a fait pour vous traiter servissent à d'autres « politesses », et n'avait invité d'autres personnes, dont la vulgarité et la médiocrité achèvent de changer cette soirée, qui à deux eût été charmante, en un supplice auquel on est tenu de se prêter jusqu'au bout, sous peine de discourtoisie, et où on est l'obligé, encore, devant payer ce supplice de quelque édition de luxe, ou des inévitables fleurs, devenues elles-mêmes, à faire ce métier, aussi vulgaires que les gens qui vous ont empoisonné et fait perdre ces quatre heures d'une vie si brève. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, p. 1341

« Le mot « fier », louange chez les peuples nobles (Espagnols, anciens Romains, anciens Arabes), est la pire insulte chez les peuples dégénérés. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, p. 1343

« On s'épargnerait bien de tristes étonnements, si l'on se mettait dans la tête une fois pour toutes qu'autrui n'est pas soi, même quand il vous aime. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, p. 1350

« Il est nécessaire que quelqu'un redise avec force, après Tolstoï, que les « génies » ont écrit, à côtés de beaux ouvrages, des ouvrages manqués, insipides, pleins de sottises, illisibles, et qu'il ajoute même que la majorité des « chefs-d'œuvres de l'esprit humain » sont des œuvres surfaites. C'est là une vérité si importante qu'il ne faut pas qu'un écrivain meure sans l'avoir dite. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, p. 1355

« Le manque de sens critique et le manque de sens propre, le peu de goût pour la vérité, la lâcheté (peu de ne pas dire comme tout le monde), le snobisme, la déformation professorale : tout cela compose ces idolâtries intolérantes. Les admirations de commande ont pour pendant les décris de commande. Alors qu'une seule chose importe, qui en même temps se trouve être une chose héroïque : voir ce qui est. »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, p. 1356

« On écrit « Rembrandt me féconde. » (Londres, 1938.). Puis, cinq ans plus tard, on voit une autre exposition de Rembrandt, et on reste de glace. Faut-il conserver, laisser imprimer ou réimprimer sa première note? Elle est vraie, mais elle est relative. Le moins qu'on puisse faire est de la dater. Mais, même ainsi, elle perd beaucoup de son importance; en vérité, cesse quasiment d'être importante. Cette remarque s'applique à beaucoup de choses qu'on écrit : on n'y croit plus au moment où on les donne à l'impression; on y croit moins encore quand on les laisse réimprimer après dix ans. Cependant on les laisse imprimer ou réimprimer, comme si de rien n'était. Elles sont signées de vous, et elles ne sont pas de vous. Je m'étonne qu'on ne dénonce pas plus souvent, et avec force, cette grande fraude de la chose écrite. » »

— Henry de Montherlant, Essais : Notes non datées, éd. Gallimard, p. 1358

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